La résidence impériale de Tsarskoïe-Selo¹ (le Bourg du Tzar), est située à vingt-deux verstes environ de Saint-Pétersbourg, sur une éminence peu élevée qui domine la vaste plaine d’alluvion formée par la Néva; un chemin de fer la met en communication avec la capitale.
La ville (car on ne peut plus lui donner le nom de bourg) est, comme toutes les villes nouvelles de Russie, vaste et bien percée; de coquettes maisons de campagne, ornées de fleurs pendant la saison d'été, bordent ses rues larges et bien alignées ; l'église principale, avec ses cinq coupoles dorées, placée au milieu d’un quinconce de tilleuls, |’annonce au loin l'importance de cette cité, qui doit toute son animation à la fréquence des séjours de la cour impériale.
Catherine II en avait fait son séjour de prédilection. C’était alors le règne des festons et des astragales, de cette architecture d'un goût contesté à laquelle Louis XV et Mme de Pompadour ont laissé leur nom, mais à qui cependant on ne peut refuser une certaine grâce et de l’invention dans le détail. Le palais de Tsarskoïe-Selo, dû à l'architecte Forster, est peut-être l'expression la plus complète de l'architecture de cette époque ; la façade, vaste et de belles proportions, est entourée d'un hémicycle renfermant d'immenses dépendances ; de nombreux logements forment une cour d'honneur en rapport avec la splendeur du palais ; la décoration extérieure est riche et mouvementée, l’ornementation, qui jadis, par excès de recherche, était entièrement dorée, a été, sous le règne de l’empereur Nicolas 1er, recouverte d’une couche de bronze. Peut-être l'aspect général du monument avait-il plus d'originalité, alors que sous ce ciel doux du Nord il attirait de loin les regards sur ses murs blancs constellés de paillettes d'or et que surmontait un toit peint en vert, clair et de ton brillant.
L'intérieur du palais témoigne également de la richesse des souverains de la Russie; ce serait une longue nomenclature que celle des œuvres d’art qu'il renferme ; la plume richement colorée d’un écrivain français, M. Théophile Gautier, les fera bientôt connaître à tous ceux qui s ‘intéressent aux arts.
Le parc, couvert de beaux ombrages, entouré de vertes prairies, de bois d'essences variées, arrosé par de nombreux canaux serpentant en rivières ou s’élargissant en lacs, est planté sur un terrain un peu accidenté qui contraste avec la vue des plaines unies des environs de Saint-Pétersbourg. Ses allées sinueuses, entretenues incessamment avec une minutieuse propreté, ménagent à chaque pas une surprise au promeneur. Là, c’est une colonne monumentale, ici, les rives d'une église gothique ; plus loin, un théâtre ; au détour d'une allée, on rencontre un obélisque au pied duquel sont enterrés quelques-uns des chiens favoris de la Sémiramis du Nord et sur la pierre funéraire de l'un d'eux, on peut lire les vers agréables que M. le comte de Ségur a consacrés à sa mémoire, Citons encore l’arsenal fondé par l'empereur Nicolas 1er, prés duquel pâliraient l'Armeria de Madrid et la salle des Armures de Malle, tant sont nombreuses et riches les armes qui y sont renfermées, Dans ce recueil, on a déjà représenté l'Hospice de la vieillesse destiné aux chevaux qui ont été montés par les souverains de la Russie (¹). Il faudrait décrire aussi le palais bâti pour l'impératrice, mère de l'empereur Alexandre II ; le village chinois, Kitaïskaya-Derevna, groupe de maisons dont la vue fait songer aux temples bouddhiques, et qui servent de résidence aux personnages les plus hauts placés de la cour ; et le bâtiment de l'Amirauté.
Mais nous devons nous borner et parler ici avec quelques détails du Kiosque représenté par notre gravure.
À peu de distance du palais, dans le fond de la vallée, on a creusé un vaste lac, Sur l'eau limpide, une flottille en miniature sert à initier au rude métier de la mer les jeunes fils de l'empereur ; au bord, on remarque un bâtiment sombre d'apparence, c'est l'Amirauté. Là, sous des cales couvertes, sont rangés tons les genres connus d'embarcations, depuis la pirogue de Malaisie jusqu'à la gondole vénitienne, Plus loin, on remarque un charmant petit monument construit par M. Monigheti, architecte actuel de Tsarskoïe-Selo.
C'est un bain turc qui reflète sa délicate construction dans les eaux pures du lac. L'intérieur en a été rapporté d'Andrinople lors de la guerre, heureuse pour la Russie, qui se termina par le traité signé dans cette ville.
Si l'on porte la vue sur l'autre rive, on voit le palais dominant de sa masse imposante la vaste ceinture qui l'entoure, et au bas d'une longue allée de sycomores et de sapins, près du rivage, un kiosque coquet et élégant opposant sur le vert foncé de la végétation sa blonde silhouette. Ce Kiosque est un de ces monuments comme il s'en trouve dans tout jardin anglais. Il n'a aucune destination ; mais on peut le considérer commee le type complet de ce que le siècle dernier a laissé en architecture de plus fin et de plus recherché dans les détails. Le parc et les jardins de Tsarskoïe-Selo se joignent sans interruption avec ceux de Pavloski, résidence du grand-duc Constantin.
Là, le terrain est encore plus accidenté, la végétation peut-être plus puissante, les eaux sont plus abondantes, et lorsque, entraîné dans un léger drajsky, on parcourt ces deux fraîches oasis par un beau jour d'été, il est impossible de se figurer que l'on touche à la limite du soixantième degré de latitude.
¹ Article paru dans la Magasin Pittoresque 1861 29ème année pages 153-154