Image sans tain à paroles de ce qui se passe.
Correspondances et cartes
La Marne est une rivière lourde et ample. Elle encercle la ville de son humidité froide. Et ses bords ne sont jamais tout à fait dénués de danger. On peut, à la fois, se sentir seul, isolé, et pourtant, à tout moment, quelqu'un ou quelque chose peut surgir ou advenir. L'imagination reste vague de ce qui pourrait arriver. Cette peur inquiète autant qu'elle attire. Un semblant de liberté se dégage de ce qui reste de nature libre sur les rives, terre étroite, entre l'eau et les rues urbaines qui contiennent la sauvagerie végétale à une verdure acceptable. Arbres, buissons, prairie parcellaire. C'est le long de ces berges que je venais rêver d'elles. J'espérais, contre tout réalisme, les croiser là, près de la rivière. Car les jeunes filles ne s'y promenaient jamais seules. Et, à part ceux qui habitaient aux alentours, dont c'était un lieu de promenade, la rivière ne faisait plus venir les gens de l'intérieur de la ville. Je pouvais les invoquer intensément, je n'avais aucune chance que mes désirs d'elles ne matérialisent leur présence, là.
Je pouvais assez facilement me perdre à contempler leur figure en moi, comme des images vivantes reconstituées par l'esprit même et l'effort de les détailler. Je n'imaginais pas les déshabiller, ni en faire des effigies à la merci de mes caprices compensateurs. Non. J'invoquais les souvenirs immobiles de leur vision que je gardais en mémoire assez longtemps pour me livrer sans frein à leur contemplation. Maintenue en moi, la distance entre les corps, je ne les violentais pas, je me confrontais à la vérité de mon désir. Du moins, je le croyais. La lecture littéraire me sauvait du désastre en ne me livrant pas la clé de l'obscur des textes. Une beauté vénéneuse de la poésie des mots calmait la folie interprétative du monde et de mes envies. J'aimais avec ambivalence, appréciant les poèmes, bannissant de mon panthéon des figures masculines des poètes que je jalousais, que j'imitais aussi sans simplement me l'avouer. Je n'avais pas encore de récit pour me défendre de la nudité des femmes. Mater Desnuda sortant du bain, sans fausse pudeur, devant l'enfant et lui parlant, comme de rien. Exposé directement à l'origine du monde, le sexe maternel voilé par la toison brune qui était l'ultime rempart de l'absolue existence de sa libido. Ses paroles, celles de ma mère, s'imposaient dont je ne me souviens pas le manifeste du dire. Je n'en ai pas gardé l'exactitude lexicale.
Il ne me reste qu'un informe savoir, un sens sans le support de sa voix, des interprétations qui reconstituaient, à partir des anecdotes incomplètes et censurées, des omissions et de son solipsisme désespéré, une histoire fragmentaire et troublée de ce que vraiment, nous étions. Sans parvenir tout à fait à nous situer dans ce monde suburbain qui lui-même était en constante métamorphose dont nous n'identifions pas la technostructure sociale. J'avais donc l'implacable évidence du sexe féminin et de son insondable foncier. J'étais encombré de cette incarnation du vide et je ne pouvais pas me débarrasser d'un début de la consistance d'un désir, peut-être exprimable par une métaphore. Je ne parvenais pas à résoudre le tropisme de ce sexe exposé et pourtant indéfinissable, une forme de ratage dont on n'a pas même pas l'idée. Une icône oxymorique, mandorle sans triomphe du rien d'un interstice supposé. Même le Sphinx n'a osé une telle énigme.
Il y avait ces deux jeunes filles de mon âge. Objets de mes spéculations dé·l·s·irantes dont je ne parvenais jamais à reconstituer leur image entière. Toujours, il me manquait la dernière association de leur être, physiquement éprouvé en les côtoyant chaque jour, avec leur sexe dont je savais trop bien la conformité. Et je m'aveuglais sur la finalité de mes propres désirs. Et je voulais quelque chose que je ne savais que haïr. Pris entre la violence du rejet et l'impitoyable alchimie de la convoitise charnelle, je n'ai trouvé piteusement qu'à admirer l'inaccessible hauteur de leurs intelligences. Comme je ne pouvais pas m'y hisser alors je ne me reconnaissais pas vraiment le droit de les approcher. Même pour leur parler. J'étais regard et regard seulement, vide de son propre désaveu. Mon intérêt pour elles était palpable et je crois qu'elles n'étaient pas dupes de ma distance et de mon silence. Je ne saurais jamais ce qu'elles ont ressenti de mon attention pour elles. S'en sont-elles aperçues ? Elles savaient ma singularité négative et mon isolement dont la cause n'était pas tranchée entre ma réserve et le dédain du groupe à l'égard d'une altérité excessive.
Toujours, je revenais à la rivière pour rêver d'elles et me laisser aller à l'inconsistance de mes désirs. Impossible d'accorder le rien au centre d'elles et la vue-toute sur le sexe féminin, cette sur-vision indépassable du corps de la mère entre moi et les jeunes filles. Je ne pouvais pas trouver les mots d'une tragédie. On n'imagine pas si tôt, de traduire par un langage, l'effroyable perdition de la synecdoque, un sexe pour tout le corps de n'importe quelle fille.
J'ai mis à la hausse les critères de l'idéal de la jeune fille. Elle ne pouvait être que la plus douée, la moins maternelle et pas forcément jolie. Je crois que j'ai créé une abstraction en poussant le genre féminin, celui qui venait avec ma génération, une excessive absence de portrait, loin de toute image vertigineuse, je cherchais, sans trop le savoir, une sur-femelle qui allierait sentimentalité, incarnation et intelligence du monde. Mais j'ai encore le souvenir très vif de ces deux jeunes filles si réelles et inapprochables. Des rencontres n'ont pas eu lieu. La banalisation des désirs, j'ai manqué de m'y plier. Rien n'a atténué la vanité de mes critères, rien ne m'a préparé à l'inévitable déception et l'évidence de la séparation du réel par des mots qu'impliquait l'idéalisation de l'autre. Je m'imaginais une négociation littéraire avec l'autre.
Je n'ai rien jeté dans la rivière. Je n'y ai rien trouvé non plus. Les berges et les rives sont restées vides.
Notes.
¹ Premier jet le 1er mai 2008 dans l'après midi. Revu et corrigé le 29 mars 2023.
² Mythe d'Osiris et Isis. Inceste, meurtres, nécrophilie, catalogues des désirs fous.
Mais surtout, l'élément manquant. Ce manque qui fait récit, sans fin.
³ Diane sortant du bain.
Être Ukrainien et gauchiste, c’est vraiment défier le bon sens. Être Ukrainien et moderne n’est déjà pas simple, sauf à être totalement libertarien, éventuellement hippie, mais pas du tout peace & love.
DadaKinder est donc aux USA, pour être avec des gens qui lui ressemblent, occupés à BLM et autres trucs à la mode.
Traduction d'un billet du 6 mars 2023 publié sur le canal Telegram :
DADAKINDER
Texte original
J'ai participé à une table ronde au cours de laquelle des universitaires occidentaux respectés ont discuté de l'Ukraine et des "post-colonialités multidisciplinaires" qui y sont associées. Un certain nombre d'activistes anti-eurocentrisme, vivant en Europe, ont laissé entendre que les Ukrainiens bénéficiaient de trop de temps d'antenne dans les nouvelles et qu'on y prêtait plus d'attention qu’au Yémen ou à la Palestine parce qu'ils étaient blancs.
J'ai été invité à ce panel pour partager mes réflexions, ce que j'ai fait en m’interrogeant sur ce que le Yémen et d'autres pays du Sud mangeraient si la région Ukraine-Russie-Belarus (exportatrice majeur de blé, d'engrais et de sel de potasse, et exportatrice mineure d'huiles de graines) devenait indisponible ? Comment réussirons-nous la "transition verte" et resterons-nous des sociétés industrialisées si Poutine a entre les mains un ensemble géopolitique qui est le premier exportateur de gaz, d'uranium, de nickel transformé et de fer semi-fini, le deuxième exportateur de pétrole, d'acier, de métaux platineux et de cuivre raffiné, le troisième exportateur d'aluminium, de titane et de charbon ? Ces questions n'expliquent-elles pas pourquoi le monde est "préoccupé par l'Ukraine" ?
Non, je ne nie pas le problème du racisme systémique. Je veux juste parler d'un élément qui y contribue, comme le fait que sous de la question de la race, il y a celle de la classe sociale, et que derrière le système de suprématie blanche, il y a un modèle économique particulier qui peut perdurer même après qu'une minorité blanche en voie de disparition ait été reléguée aux poubelles de l'histoire.
"Êtes-vous en train de dire que vous êtes la victime en tant qu'homme blanc en voie de disparition ?“ Non, ce n'est pas ce que je dis... Je m'inquiète de questions gênantes : comment les féministes vont-elles réagir à la discrimination à l'encontre des hommes dans la guerre, que pensent-elles des privilèges qu'elle crée pour les femmes, et comment envisagent-elles leurs politiques dans le contexte de l'effondrement démographique des sociétés industrialisées ? Comment les anti-impérialistes vont-ils actualiser leurs programmes en tenant compte du fait que le sort des peuples peut dépendre des armes impériales qu'ils ont entre les mains ?
En réponse, l'un des intervenants a déclaré que je pensais comme un impérialiste blanc, que mes arguments étaient fascistes et que nous devrions mettre fin immédiatement au système de suprématie blanche.
Etant d'accord avec cette dernière affirmation, j'ai demandé aux universitaires impérialistes où les Ukrainiens pouvaient se procurer des armes non impériales ici et maintenant ? On m'a répondu que mon style de débat était fielleux. Et c'est vrai, parce que si vous pédalez sur le thème ukrainien, l'argent que l'empire donne pour la recherche sur la suprématie blanche pourrait aller à des concurrents universitaires dans le cadre des relations de marché...
Je n'avais pas l'intention d'offenser qui que ce soit, bien que je me sois senti offensé lorsque l'élite universitaire privilégiée me parle – à moi, réfugié d'un pays pauvre - comme si j’étais un oppresseur blanc.
J'ai terminé ma déclaration en mettant l'accent sur un certain nombre de points polémiques :
1) les échanges de noms d’oiseaux, la politique identitaire et le marathon de la souffrance dans lequel les victimes de l'impérialisme s'affrontent pour savoir qui a le plus souffert ne sont pas propices à la solidarité internationale.
2) La fonction de l'académie impériale est de servir le système et d'agir comme sa conscience pendant que l'empire s'empare de nouvelles terres, de ressources, de travailleurs bon marché et de jeunes veuves fuyant la guerre avec leurs enfants ; d'être des voix "ukrainiennes", "noires", "féminines" dont les nuances sont condamnées à se noyer dans les grands récits impérialistes.
3) Pour parvenir à la solidarité et créer un acteur collectif capable d'affronter les empires, nous devons construire des ponts entre les peuples et les démos, nous reconnaître les uns dans les autres, généraliser nos expériences et nos identités locales, établir des parallèles entre les différents types d'oppression, et rendre tout cela universel, guidés par la compréhension que, bien que nous soyons différents, nous avons tous le même ennemi : le vampire.
Quelque part en cours de route, une pause a été décidée. »
Fin de la traduction.
NdT On peut rire, je l’autorise et même le conseille
La résidence impériale de Tsarskoïe-Selo¹ (le Bourg du Tzar), est située à vingt-deux verstes environ de Saint-Pétersbourg, sur une éminence peu élevée qui domine la vaste plaine d’alluvion formée par la Néva; un chemin de fer la met en communication avec la capitale.
La ville (car on ne peut plus lui donner le nom de bourg) est, comme toutes les villes nouvelles de Russie, vaste et bien percée; de coquettes maisons de campagne, ornées de fleurs pendant la saison d'été, bordent ses rues larges et bien alignées ; l'église principale, avec ses cinq coupoles dorées, placée au milieu d’un quinconce de tilleuls, |’annonce au loin l'importance de cette cité, qui doit toute son animation à la fréquence des séjours de la cour impériale.
Catherine II en avait fait son séjour de prédilection. C’était alors le règne des festons et des astragales, de cette architecture d'un goût contesté à laquelle Louis XV et Mme de Pompadour ont laissé leur nom, mais à qui cependant on ne peut refuser une certaine grâce et de l’invention dans le détail. Le palais de Tsarskoïe-Selo, dû à l'architecte Forster, est peut-être l'expression la plus complète de l'architecture de cette époque ; la façade, vaste et de belles proportions, est entourée d'un hémicycle renfermant d'immenses dépendances ; de nombreux logements forment une cour d'honneur en rapport avec la splendeur du palais ; la décoration extérieure est riche et mouvementée, l’ornementation, qui jadis, par excès de recherche, était entièrement dorée, a été, sous le règne de l’empereur Nicolas 1er, recouverte d’une couche de bronze. Peut-être l'aspect général du monument avait-il plus d'originalité, alors que sous ce ciel doux du Nord il attirait de loin les regards sur ses murs blancs constellés de paillettes d'or et que surmontait un toit peint en vert, clair et de ton brillant.
L'intérieur du palais témoigne également de la richesse des souverains de la Russie; ce serait une longue nomenclature que celle des œuvres d’art qu'il renferme ; la plume richement colorée d’un écrivain français, M. Théophile Gautier, les fera bientôt connaître à tous ceux qui s ‘intéressent aux arts.
Le parc, couvert de beaux ombrages, entouré de vertes prairies, de bois d'essences variées, arrosé par de nombreux canaux serpentant en rivières ou s’élargissant en lacs, est planté sur un terrain un peu accidenté qui contraste avec la vue des plaines unies des environs de Saint-Pétersbourg. Ses allées sinueuses, entretenues incessamment avec une minutieuse propreté, ménagent à chaque pas une surprise au promeneur. Là, c’est une colonne monumentale, ici, les rives d'une église gothique ; plus loin, un théâtre ; au détour d'une allée, on rencontre un obélisque au pied duquel sont enterrés quelques-uns des chiens favoris de la Sémiramis du Nord et sur la pierre funéraire de l'un d'eux, on peut lire les vers agréables que M. le comte de Ségur a consacrés à sa mémoire, Citons encore l’arsenal fondé par l'empereur Nicolas 1er, prés duquel pâliraient l'Armeria de Madrid et la salle des Armures de Malle, tant sont nombreuses et riches les armes qui y sont renfermées, Dans ce recueil, on a déjà représenté l'Hospice de la vieillesse destiné aux chevaux qui ont été montés par les souverains de la Russie (¹). Il faudrait décrire aussi le palais bâti pour l'impératrice, mère de l'empereur Alexandre II ; le village chinois, Kitaïskaya-Derevna, groupe de maisons dont la vue fait songer aux temples bouddhiques, et qui servent de résidence aux personnages les plus hauts placés de la cour ; et le bâtiment de l'Amirauté.
Mais nous devons nous borner et parler ici avec quelques détails du Kiosque représenté par notre gravure.
À peu de distance du palais, dans le fond de la vallée, on a creusé un vaste lac, Sur l'eau limpide, une flottille en miniature sert à initier au rude métier de la mer les jeunes fils de l'empereur ; au bord, on remarque un bâtiment sombre d'apparence, c'est l'Amirauté. Là, sous des cales couvertes, sont rangés tons les genres connus d'embarcations, depuis la pirogue de Malaisie jusqu'à la gondole vénitienne, Plus loin, on remarque un charmant petit monument construit par M. Monigheti, architecte actuel de Tsarskoïe-Selo.
C'est un bain turc qui reflète sa délicate construction dans les eaux pures du lac. L'intérieur en a été rapporté d'Andrinople lors de la guerre, heureuse pour la Russie, qui se termina par le traité signé dans cette ville.
Si l'on porte la vue sur l'autre rive, on voit le palais dominant de sa masse imposante la vaste ceinture qui l'entoure, et au bas d'une longue allée de sycomores et de sapins, près du rivage, un kiosque coquet et élégant opposant sur le vert foncé de la végétation sa blonde silhouette. Ce Kiosque est un de ces monuments comme il s'en trouve dans tout jardin anglais. Il n'a aucune destination ; mais on peut le considérer commee le type complet de ce que le siècle dernier a laissé en architecture de plus fin et de plus recherché dans les détails. Le parc et les jardins de Tsarskoïe-Selo se joignent sans interruption avec ceux de Pavloski, résidence du grand-duc Constantin.
Là, le terrain est encore plus accidenté, la végétation peut-être plus puissante, les eaux sont plus abondantes, et lorsque, entraîné dans un léger drajsky, on parcourt ces deux fraîches oasis par un beau jour d'été, il est impossible de se figurer que l'on touche à la limite du soixantième degré de latitude.
¹ Article paru dans la Magasin Pittoresque 1861 29ème année pages 153-154
Une lente humilité pénètre dans la chambre qui habite en moi dans la paume du repos convalescentes rumeurs dans les eaux des furtifs qui ne vivent que de meurtre
Rire inavoué sous des choses renaissantes aux printemps germés dans les paroles de plomb que des cris de folie sur les langues solitaires puissent rejoindre encore les seins et les ailes
Que les fruits sonnent creux qui battent la poitrine et d'un pas mesuré que les cloches s'amassent les cheveux sont partout de veillées enivrés tous les chemins mênent à la mort la plus proche
Angoisse des ans crispés dans le corps entre les machoires serrées des rochers quelle chance chassera les pardons d'amertume ton image fuit sur de vastes inconnues.
Tristan Tsara
Ma ville. Il disent cela, ma ville. Leur ville, c'est là où ils vivent. J'habite une ville depuis 1985. 28 ans. Je n'en suis pourtant pas. Non, « ma ville », je ne dis pas ça. Pourtant, je la connais bien. Pas toute, non. Je sais, du moins, des histoires de cette ville. Je connais les berges de ses deux rivières. Je suis un promeneur des chemins de halage et de contre halage. Toujours, marchant le long d'une rivière ou d'un fleuve.
Avant 1985, j'ai habité dans un petit village de la Drôme. Je n'en étais pas.
Non. L'ancrage au territoire était très fort, il fallait être de là depuis des générations.
Et même, certains dont les aïeux étaient nés là depuis tant et tant,
n'étaient quand même pas tout à fait d'ici parce qu'on leurs
connaissait un ascendant qui était venu d'un autre village. Ça pouvait faire
trois siècles, ses descendants étaient encore liés à cet endroit
originel et qui en faisaient des « étrangers »
Trois siècles qu'une branche familiale se déployait là dans ce village, et ils
n'en étaient pourtant pas.
J'y avais passé trois hivers et on me disait :
Pour être du village, il faut y vivre toute l'année. Oui, moi cela faisait trois ans, un moment infime. Et pourtant, le village, il mourait.
Depuis longtemps déjà, les descendants des familles le quittaient pour aller aux alentours des grandes villes. Et ils y avait deux villes dans leur cœur, le village, berceau de leur famille et la ville suburbaine où ils vivaient.
Ils disent : ma ville. Laquelle ?
Je n'ai jamais dit ma ville. Non, jamais.
Sous les volets de mes paupières closes
Le ciel délivre un bleu incandescent.
Derrière la vitre de ma mémoire, j'ose
Brûler l'image de ce ciel qui descend.
Le sacrifice des souvenirs est un plaisir sauvage.
Comme le pire des fanatiques fracassant ses icônes,
J'éclabousse d'amertume mon passé sans âge.
Où est mon ciel sans nuages ?
Je le cherche et l'appelle.
Il me fuit.
Je m'épuise. - Île - Détourne tes yeux
Ils me troublent,
Des eaux brouillées aux cils si fins,
Pupilles noires où j'aimerais plonger…
Je ne puis ; détourne
Tes regards, leur tendresse
Brune m'importune,
Comme le souvenir d'un bonheur aliéné.
Détourne tes yeux d'Orient,
Ton esprit délicat, détache-moi de toi.
À jamais.
Pour toujours
Dans le ventre chaud du Léviathan, on aime se vautrer sous la surveillance des mères évertuées à attendre les départs.
Car on part de nos jours et plus qu'on ne le croit. Simplement, on se rend en masse dans des mers du Sud étonnantes certes, mais laides et sévères comme les anciennes tenancières des commerces qui comptaient aussi bien et même mieux que les comptables oblats et clercs des institutions vénérables et froides aux mains des pères absentés.
En se rendant au delà des milieux surchargés, on gagne plus, il parait.
Et si on s'en va dans des places off-shore d'entre les frontières, c'est aussi pour rêver d'un ailleurs, d'une vie d'outre-enfance qui s'exubèrerait des confins.
De prodigue, on reviendrait exote soi-même, paré des rêves qu'on a perdu en chemin. Enfin son Je transcendé en un autre qui serait inconnu à soi-même et nous serions fier d'avoir mué, de le faire savoir rien qu'en apparaissant à nouveau, heureux d'avoir fait un voyage.
Et de pouvoir mentir. Oui. Mentir son soûl.
Car on raconterait n'importe quoi, des êtres et des paysages inventés mais que nous avions poursuivis vainement.
L'espoir de l'Autre, nous l'avons définitivement abandonné.
Alors que nous étions venus là pour se garder une place là-bas dont nous venions, d'autres étaient déjà dans cet ailleurs surévalué pour se construire une place qu'ils n'avaient jamais eu là d'où ils s'étaient enfuis et ils étaient habités par avance de la peur qu'on la leur volât quand ils seraient retournés.
En fait, nous avions en tête les mêmes calculs.
Et de nos paris respectifs lesquels étaient les plus sûrs ?
Nous ne le savions plus.
En tous cas, c'était certains nous étions absolument semblables, au mot près.
Ailleurs, le temps est suspendu car il n'y a pas d'occasion de s'installer. Tout y est si prévisible et transitoire. Transit est le maître-mot des conditions hagardes de ceux qui œuvrent pour des économies. Les grandes qu'ils servent, les petites qu'ils accumulent pour leur retour.
À quoi bon révéler des vérités prosaïques :
Nous étions si seul le matin dans la chambre vide de toute humanité. Un oiseau accroché sur le rebord étroit de la fenêtre étanche perçait l'insonorité industrielle de ses cris affreux d'animal, adressés à l'animal que nous étions nous-même, s'éveillant à peine. Aussi, seul nous étions, avec, en plus, la conscience de notre faim de quelque chose pour laquelle nous n'avions pas de mots.
Et ce n'était pas seulement de nutriments pour la chair dont nous manquions, mais d'idéal. Car c'est ainsi que nous sommes au lointain, sans idéal autre que celui d'un épicier qui se voudrait poète et non qu'il l'a été comme notre premier précurseur sur ces chemins inter frontaliers et sauvages.
Qui a fait une odyssée, qu'il la raconte !
Ô oui, qu'il ne se prive pas !
On y croira avec ferveur nous qui consumons notre jeunesse ailleurs et nos parents qui nous ont hypocritement laissé partir comme pour une campagne qui cache son nom seraient rassurés par des histoires.
Personne ne saura que vous avez inventé un invraisemblable. Nous, c'est certain, on ne détrompera personne.
Juré, nous serons votre jury d'honneur. À vous, raconteur de notre légende.
Jacques Aupick.
Chance is not abolished by a rigged die launch. Liquefy the dream. And pushed our self between floating waters freed from its own mass, soothed the loving sleeper into the depth of the naked truth of reverie, living its true life. With eyes closed, looking inward, the artist delivers a beautiful image of her face on the shining surface of the clear satin waters. Our eyes captivated by the mystery so close, which is not revealed because of the metaphor, here, in absentia, necessarily; the image itself hides the absent meaning: a desire that cries so loudly...
À ce moment, il n'est plus question d'amour.
Seulement une omniprésence, là et ailleurs, comme un désir qui se proscrit lorsque prend forme précise et se dénomme l'autre. L'autre, être de langage, de parole, et ses censures troublantes dont on se prévient de les élucider par peur de comprendre des secrets.
La proximité de leurs corps à elles, non apprêtés, leurs odeurs naturelles, leurs coiffures simples qui empêchent les cheveux d'encombrer leur visage, leurs gestuelles, l'effacement partiel de quelques rondeurs dans des replis, leurs regards sur elles.
Dans le voisinage de leurs corps, là, il n'est pas de mariée qui tienne, elles aussi, célibataires même, en quête vaguement et pourtant apprêt déjà d'une chose, comme une aspiration chevillée à la psyché.
Alors, dans la distance qui s'est réduite à quasiment rien, un abîme, extrême et si ténu à la fois. est ouvert, l'impossibilité de maintenir la moindre cohérence de soi, si, d'un seul coup, ce vide à peine supportable, cette césure imparable devait se fondre en des étreintes aberrantes et qui perdraient les embrassés, chacun dans leurs affects primordiaux dont ils se délecteraient ou bien se révulseraient avec l'effroi que procure l'expérience quasi pure des sensations sans les significations.
Si brutal et rapide serait le choc qu'il ne laisserait pas le temps d'une seule pensée, les émotions déferlant, submergeraient tout, dont le moindre signe, le plus petit dénominateur possible.
Les parties de leurs corps même, j'ai beau les renommer, l'énumération n'est qu'une liste de synecdoques de leur entièreté réduite à une image :
un sein, une main, la cheville, une fesse callipyge ou leur pubis proéminent, leurs lèvres, purpurines ou d'ivoire, ourlées, dont j'entends le chuintement continu et doux des respirations. Elles ne le demandent pas, mais sans doute, je crois qu'elles préfèrent, je détourne mes yeux de leurs regards, sinon, gênées, elles resteraient en elle-même, interdites d'être autre chose qu'un exemplaire dans un imagier du féminin.
Et le lourd et lent désaveu d'elles par elles-mêmes, contraintes par une vision extérieure, malicieuse et si faussement limpide, comme une évidence de leur nature femelle, évaluable sans qu'elles n'y puissent mais. À moins qu'elles ne se soustraient ou qu'elles ne s'exposent pour « rien » ni à
« quiconque » comme un gâchis de la représentation stérile d'elles et dont elles sont les virtuoses performatives. Du moins, certaines.
Quand personne ne les regarde, quand bien même elles restent indifférentes à ce qu'on les aperçoive, ne sont-elles jamais vraiment toutes seules pour elles, être singulier, unique, qui se serait fait par lui et qui procéderait de leur propre travail sur elles ?
J'ai le sentiment, comme il m'arrive aussi bien dans ma solitude qu'un fantasme hante mon self, qu'elles ont aussi cette prise à partie d'une imago particulière, cette mère-image, une hallucination invisible, idole ténébreuse aux parures violentes comme des voiles pénétrables, aux ornements clinquants et imprécis, au brillant de lames lacérantes et dont les mouvements insidieux hystérisent nos transes dépersonnalisantes.
À ce point où la perdition parait certaine et qu'on pourrait conclure par une coupure sauvagement humiliante, qui transformerait l'étroite fissure mais abyssale qui nous séparait à peine, en un infini modeste mais définitivement discriminant, l'in-touchante referait le paria renvoyé à ses fétiches, il se peut, néanmoins, qu'autre chose survienne, différent du rituel convenu de ces gestes lestés soigneusement en dessous du langage et négateurs des pensées.
Malgré les subterfuges si personnels, arrangés sans notre gré, des actes, comme un commerce, mais corporel, échangent du verbe, des phrases dont les mots ont un ordre particulier qui nous est spécifique. Et nos incarnations mutuelles chargent nos paroles des tournures gestuelles imprimées comme des blessures cunéiformes dans notre Moi malléable et sans forme notoire. Les références dans leurs phrases sont très implicites qu'elles rendent, selon leurs étranges fantaisies, comme des sortes de tissages faits de nœud multicolores et variés, leurs idées si aiguës, déchiffrables, peut-être, si je m'oublie absolument et que je lise, lise sans cesse leurs parures en verbe, mots-image. Ma lecture et leur écrits sont de la même matière de la pensée.
Et l'analogie est opératoire qui supprime le vertige ou l'accentue, au point de ne plus avoir peur de chuter mortellement.
En 1979, j'étais confusément en recherche d'identité. Je me figurais que vivre une expérience initiatrice révélerait ma personnalité. C'était à la fin de l'année, je me trouvais en Amérique Latine. J'avais cédé facilement à un tropisme de l'époque. Au cours d'un grand voyage, s'aventurer à la rencontre d'étrangers d'autres cultures. Au Pérou, sur le haut-plateau andin, une route relie des villes au baroquisme colonial jusqu'à Cuzco l'inca. On m'avait donné l'adresse d'un contact dans l'une de ces cités au-dessus de Lima. Le jeune péruvien m'a proposé d'assister à la fête annuelle d'un village d'où sa famille était originaire. Un train à vapeur nous y a amenés, m'écartant des touristes.
Je découvrais un paysage monotone et in-domestiqué où l'absence prédomine jusqu'à l'horizon vertical des Andes. Propriétaire de fruitiers qui faisaient sa fortune et accessoirement survivre les villageois, une dame âgée très hispanique, curieuse, m'offrait un bon accueil. Les habitants étaient indiens sauf la famille de mon hôte et le curé créole. Un incident m'exposait à une situation insolite.
On me faisait visiter les alentours quand, soudain, en approchant d'une bâtisse qui servait d'habitation à un autochtone qui représentait l'autorité coutumière, des enfants indigènes ont lancé des cailloux. Sans atteindre quiconque, il visaient sans équivoque mes hôtes. Le patron quechuan s'est interposé, suspendant la haine viscérale. Je découvrais l'effroyable hostilité entre des êtres. L'humanité même était en question, ontologiquement. Un système relationnel, comme entre deux espèces, se fondait seulement sur l'animalité des rapports de domination et de soumission. Je ne pouvais considérer un autre humain que sur un mode d'égalité essentielle. En acceptant l’Autre, je croyais accéder à son monde. Ici, j'étais au comble de l'altérité telle que je me la figurais, aux contact de civilisations si différentes. Une acculturation féroce les renfermaient tous dans le secret des liens communautaires. Le patron est venu près de moi de telle façon que j'étais entre lui et mes hôtes qui s'étaient figés. Une loi tacite régulait la distance relative entre eux. Alors, le lien de la parole a commencé de se dissoudre. Tout passait par des sensations primaires. J'ai perçu de ceux qui m'avaient conduit à cette confrontation, la profonde répugnance de cette proximité. Mon indifférence à çà, les décevaient. Ma présence naïve a instauré l'assentiment réciproque de lever la violence habituelle de l'affrontement entre les maîtres et leurs serviteurs. Je devenais pour les descendants de colons, l'européen insolent qui ravivait des dangers par inconscience. Je devenais le visiteur magnanime pour les premiers habitants. J'incarnais l'incertitude pour tous. Avec une bienveillance désabusée, mes hôtes refermés acceptaient que je me livre à une curiosité qui leur était obscène. Ils avaient eu ce malentendu avec d'autres visiteurs. Mais l'indigène, s'est approché de moi, il m'a souri, m'a fait un petit signe, le suivre tandis qu'il allait vers sa maison, il m'a fait entrer. Dans l'unique pièce en terre battue, juste une natte sur le sol et quelques ustensiles de cuisine. Nous sommes restés là quelques minutes. Nous n'avions pas de mots, simplement nous nous souriions. Puis il m'a raccompagné jusqu'au petit groupe qui attendait dehors. Sans s'en rendre compte, cet homme m'a donné mon humanité, hors du langage, par la reconnaissance mutuelle de notre nature d'humain, à la fois proches et tellement différents. Pas de mots, les expressions de nos visages, des gestes furtifs.
J'avais une chambre dans la maison familiale mais ils ne m'ont pas ouvert l'accès à cet intérieur privé au cœur de leurs existences. Je croisais quelquefois la maîtresse du lieu. Assise dans un petit salon, elle m'invitait, avec aménité, du regard à m'installer face à elle. Si je parlais, elle baissait les yeux assez tristement. Je comprenais qu'elle ne répondrait pas. Les paroles s'évanouissaient.
La fête était bruyante de musique. Les villageois excités défilaient en désordre dans les ruelles terreuses. Des hommes me poussaient dans une cahute pleine de monde. On servait de la chicha amère, une bière de maïs. Serré entre eux, je buvais aussi. Je ne comprenais pas leur idiome. Aucun ne savait l'espagnol. Leurs gestes ne me signifiaient rien. La nuit venue, nous sortions rejoindre des orchestres. Des danses colorées tournaient autour des musiciens saouls. J'errais jusqu'à ce que des femmes moins timides me tirent pour danser chastement. J'étais un objet dont on se servait ingénument. Le côtoiement, sans menace ni affection, était un attribut de cette fête là. Je cherchais des regards ne trouvait que l'insondable. Rien ne se montrait des histoires qui les liaient. Je ne voyais qu'une folie de carnaval exacerbée par l'alcool. Je perdais la notion de la durée. J'étais hors du langage. Sans mots, sans gestes, sans médiation, le vivais le cahot de l'in-communication. L'impensable, l'indicible, l'intransmissible et l'obscur me décomposaient en une multiplicité de moi. L'incohérence m'individualisait à l'extrême. Parcellisé, je n'étais pas.“La vérité même de l’être qui se dévoile.”
Je reconnais le vide intérieur, l'insensé. Si je n'écris pas, je ne suis rien.