Îles

Correspondances et cartes

Oubliez-moi.

- Posté en Du côté de par

Je ne peux m'empêcher de rire. Faire retraite
pour mieux travailler, io crepo se non rido!

Bon, j'arrête avant le hoquet fatal. Il y a longtemps,
très. Avant le grand exode qui a duré, mais duré tant
qu'il n'est pas encore tout à fait terminé.
Du temps d'avant l'exode rural et de la frénésie sub-
urbaine qui nous a pris si violemment, on était d'un
village.

Et quand je dis qu'on était d'un village, je veux dire
qu'on était d'une famille qui habitait tel village.
Ce qui ne veut pas dire qu'on était vraiment de ce village là.
Être d'un village, c'était appartenir à une famille qui
était là depuis toujours, qu'on ne se souvenait pas d'un
temps où cette famille n'habitait pas là.

Il suffisait qu'un seul villageois se rappelle d'une époque
où personne de votre famille n'y habitait pour qu'on dise,
vous n'êtes pas d'ici.
Quelquefois, celui-là avait encore en mémoire l'endroit,
un autre village distant d'au moins 2 lieues, d'où votre
aïeul venait.
Ça pouvait s'être fait 4, 10 ou 20 siècles avant. Qu'importe.
Tant qu'un seul ancien se le rappellera, vous ne serez point
d'ici.

Vous imaginez un peu le voisinage, il en sait plus sur
vous que vous-même. La couleur de vos cheveux,
et celle de vos yeux, il vous cite quelqu'un de votre
famille qui avait justement ces caractéristiques physiques.
Même le caractère, et la morale, le tempérament et
l'intelligence vôtres, sont connus avant que vous ne soyez né.

On peut comprendre que certains à la réputation moyenne
ou qui voulait ne se faire que par eux-mêmes, se soit enfui
de là pour que cesse la litanie des souvenirs familiaux si
implacables que vous n'étiez jamais que de cet famille qui
était d'ici ou d'à côté.

Le cloître, c'était peut-être un bon moyen pour qu'on vous
oublie. Silence, ne me dites plus rien de moi !

Mais, il y a pas beaucoup de moyens de ne pas se souvenir
soi-même de soi. On devient son propre contempteur.
Rien de si harassant que le travail pour s'oublier soi-même.

Ma ville, non.

- Posté en Du côté de par

Ma ville. Il disent cela, ma ville. Leur ville, c'est là où ils vivent. J'habite une ville depuis 1985. 28 ans. Je n'en suis pourtant pas. Non, « ma ville », je ne dis pas ça. Pourtant, je la connais bien. Pas toute, non. Je sais, du moins, des histoires de cette ville. Je connais les berges de ses deux rivières. Je suis un promeneur des chemins de halage et de contre halage. Toujours, marchant le long d'une rivière ou d'un fleuve.

Avant 1985, j'ai habité dans un petit village de la Drôme. Je n'en étais pas. Non. L'ancrage au territoire était très fort, il fallait être de là depuis des générations.
Et même, certains dont les aïeux étaient nés là depuis tant et tant, n'étaient quand même pas tout à fait d'ici parce qu'on leurs connaissait un ascendant qui était venu d'un autre village. Ça pouvait faire trois siècles, ses descendants étaient encore liés à cet endroit originel et qui en faisaient des « étrangers » Trois siècles qu'une branche familiale se déployait là dans ce village, et ils n'en étaient pourtant pas. J'y avais passé trois hivers et on me disait :
Pour être du village, il faut y vivre toute l'année. Oui, moi cela faisait trois ans, un moment infime. Et pourtant, le village, il mourait.
Depuis longtemps déjà, les descendants des familles le quittaient pour aller aux alentours des grandes villes. Et ils y avait deux villes dans leur cœur, le village, berceau de leur famille et la ville suburbaine où ils vivaient.
Ils disent : ma ville. Laquelle ?
Je n'ai jamais dit ma ville. Non, jamais.